La cathédrale Saint-Sauveur d'Aix-en-Provence

La cathédrale Saint-Sauveur d'Aix-en-Provence

Article rédigé le 06/12/2025 par DRAC PACA

 

 

 
Façade occidentale Toitures Les portes

 

Panosphère : Entrée - Drône Pixels, 2025  Panosphère : Choeur - Drône Pixels, 2025
 
 
 Baptistère - Drône Pixels, 2025 Chapelle Saint-Maximin Chapelle Saint-Mitre
   
Chambre université    

 

Introduction : Lire un Monument comme une Stratigraphie

Pour l'historien, l'architecte ou l'archéologue, la Cathédrale Saint-Sauveur d'Aix-en-Provence est un objet d'étude exceptionnel. Elle défie toute tentative de classification stylistique simple. La visiter, ce n'est pas admirer un édifice gothique ou roman ; c'est lire un livre d'histoire dont les chapitres ont été écrits, effacés et réécrits les uns sur les autres pendant près de deux millénaires

Sa structure actuelle est le résultat d'une sédimentation continue, débutant à l'Antiquité tardive pour ne s'achever qu'au XVIIIe siècle. Cet article propose d'analyser ce monument non pas comme une entité unique, mais comme un site en évolution, un "pont" physique entre les disciplines, où l'archéologie romaine, l'architecture médiévale et le mécénat politique de la Renaissance dialoguent en permanence.

1. Les Fondations : L'Héritage Antique et sa Christianisation

L'histoire de Saint-Sauveur commence bien avant sa christianisation. Elle est érigée, comme le veut la tradition des premières églises, sur le cœur même de la cité antique : le forum romain d'Aquae Sextiae.

     Le Substrat Romain : Des fouilles ont confirmé que le tracé de la cathédrale suit l'axe principal (le decumanus) de l'ancienne ville romaine. Ce choix n'est pas anodin : il s'agit d'une appropriation symbolique et physique du centre du pouvoir public païen par le nouveau pouvoir religieux.

     Le Baptistère (Ve-VIe s.) : L'Art de la Spolia Le baptistère, joyau de l'art paléochrétien, est l'exemple le plus spectaculaire de ce "pont" avec l'Antiquité. De plan octogonal (symbole de la résurrection), il est soutenu par huit colonnes monolithiques en granit et marbre. Ces colonnes sont des spolia, des éléments architecturaux "en réemploi", très probablement issus du temple d'Apollon qui se tenait sur ce même forum. Pour l'archéologue et l'historien de l'art, c'est un cas d'école : l'Église de l'Antiquité tardive ne détruit pas seulement le passé païen, elle le "recycle", l'absorbe et le légitime en l'intégrant à sa propre structure.

     La Dimension Hagiographique : C'est sur ce terreau historique que se greffe la légende. La tradition attribue l'évangélisation d'Aix à Saint Maximin et à Sainte Marie-Madeleine, venus de Palestine. Cette fondation légendaire, bien qu'historiquement contestée, a servi de puissant levier de légitimation pour l'archevêché d'Aix au fil des siècles.

2. Le Dialogue des Époques : La Triple Nef et le Cloître

Le corps même de la cathédrale est l'illustration la plus déroutante, et la plus fascinante, de sa complexité. L'édifice principal est composé de trois nefs, de trois époques différentes, accolées les unes aux autres, chacune témoignant d'une vision distincte de la foi et de l'espace.

     La Nef Romane (XIIe s.) : Située au sud, cette nef (aujourd'hui dédiée à Saint Mitre) est un exemple classique de l'art roman provençal : sobre, étroite, avec une voûte en berceau massif. C'est un espace sombre, propice au recueillement, qui exprime la solidité et la permanence de l'Église.

     La Nef Gothique (XIIIe-XVIe s.) : La nef centrale est le projet majeur qui a tenté (sans y parvenir) d'unifier le site. C'est une construction typique du gothique flamboyant, marquée par une recherche de hauteur et de lumière (ce que l'art roman délaissait). Pour l'architecte, le contraste est saisissant : en quelques pas, on passe d'un espace écrasé par la pierre (roman) à un espace élancé vers le ciel (gothique).

     La Nef Baroque (XVIIe s.) : Une troisième nef, plus modeste, fut ajoutée au nord, montrant que le bâtiment n'a jamais cessé d'évoluer.

À ce corps principal s'ajoute le cloître roman (fin XIIe s.). Espace de méditation pour les chanoines, il est remarquable par l'élégance de ses colonnettes jumelées et la richesse iconographique de ses chapiteaux. On y lit un bestiaire médiéval et des scènes bibliques, offrant un pont vers la symbolique théologique et la vie intellectuelle du chapitre cathédral.

3. Le Chef-d’œuvre : Art, Pouvoir et Mécénat

Si l'architecture de Saint-Sauveur est un dialogue entre les siècles, ses trésors artistiques sont un dialogue entre la foi et le pouvoir politique.

Le Triptyque du "Buisson Ardent" (1476) : C'est le chef-d'œuvre incontesté de la cathédrale. Cette peinture sur bois de Nicolas Froment est bien plus qu'une simple œuvre dévotionnelle ; c'est un manifeste politique.

Le Donateur : Il a été commandé par le Roi René (René d'Anjou), Comte de Provence et figure majeure du XVe siècle.

L'Iconographie : Le panneau central montre la Vierge à l'Enfant apparaissant à Moïse dans le buisson ardent. Mais les volets latéraux sont la clé : ils représentent le Roi René (âgé, en prière) et sa seconde épouse, Jeanne de Laval.

L'Argument : L'œuvre est un pont fascinant pour l'historien. Le Roi René, en se faisant représenter aux côtés d'une vision biblique majeure, se place en monarque pieux et légitime. Il utilise l'art religieux pour affirmer son pouvoir et sa piété, laissant une trace impérissable de son mécénat à Aix, capitale de son comté.

Les Portes Sculptées (1510) : La façade gothique est ornée de portes en noyer (aujourd'hui protégées et presque toujours couvertes) qui sont un chef-d'œuvre de la sculpture sur bois. Elles représentent les prophètes et les sibylles, créant un pont entre l'Ancien Testament et la philosophie antique, un thème cher aux humanistes de la pré-Renaissance.

L'Orgue d'Isnard (1745) : L'orgue monumental, œuvre de Jean-Esprit Isnard, est un pont vers une autre discipline : la musicologie. Sa sonorité "classique française" est considérée comme l'une des plus pures de France et fait de la cathédrale un haut lieu de la musique sacrée.

Conclusion : Le Monument comme Processus

La Cathédrale Saint-Sauveur est un défi à la notion de "monument fini". Elle est l'antithèse d'une cathédrale "pure" comme Amiens ou Reims, construite d'un seul jet.

Sa véritable identité réside dans son inachèvement perpétuel et ses contradictions visibles. Elle est un document exceptionnel pour le spécialiste, car elle matérialise la longue durée chère à l'historien. L'archéologue y lit la transformation d'un forum romain, l'architecte y étudie la transition du roman au gothique, et l'historien de l'art y décode le message politique du Roi René.

Plus que tout autre édifice, Saint-Sauveur ne nous montre pas seulement une collection d'époques ; elle nous montre le processus même de l'Histoire à l'œuvre.